22 septembre 2007
Critique d'un livre
L’Armée des Ombres, Joseph Kessel, 1943
« La Résistance. Tu entends ? dit encore Gerbier. Endors-toi avec ce mot dans la tête. Il est le plus beau, en ce temps, de toute la langue française. Tu ne peux pas le connaître, il s’est fait pendant qu’on te détruisait ici. Dors, je te promets de te l’apprendre. [...] Ils sont venus dans leurs chars, avec les yeux vides. Ils ont en horreur la liberté, la pensée. Tandis qu’ils se réjouissaient, naissait la Résistance. [...] Comment cela s’est fait, je n’en sais rien, disait encore Gerbier. Je pense que personne ne le saura jamais. Mais un paysan a coupé un fil téléphonique de campagne. Une vieille femme a mis sa canne entre les jambes d’un soldat Allemand. Des tracts ont circulé. Un bourgeois donne une adresse fausse aux vainqueurs qui demandent leur chemin. Des cheminots, des curés, des braconniers, des banquiers, aident les prisonniers évadés à passer par centaines. Des fermiers abritent des soldats Anglais. Des officiers, des soldats Français, des maçons, des peintres, cachent des armes. [...] Pour celui qui a senti cet éveil, ce premier frémissement, c’était la chose la plus émouvante du monde. C’était la sève de la Liberté qui commençait à sourdre à travers la terre Française. » (Première Partie)
Je voulais écrire sur L’Armée des Ombres, mais j’en suis strictement incapable. Ce livre retrace tous les aspects de la Résistance. Et Kessel l’a connue de très près, peut-être même de trop près. Elle l’a ébloui, et elle l’a blessé. Tout le roman d’articule autour de paradoxes, comme un nuancier d’émotions.
La froideur de Gerbier, l’un des chefs du mouvement, qui se déshumanise, perd peu à peu tous ses sentiments, dans le seul but d’aider les autres, de combattre ce qui le révoltait, et contre quoi il continue de livrer bataille sans vraiment ressentir pourquoi…
La force au contraire pleine de sentimentalité, de Mathilde, femme au milieu de ces hommes, toujours prête à aller plus loin qu’eux, à la fois fragile parce que mère, à la fois indestructible parce que déterminée à libérer la France au prix de sa vie.
La fougue des jeunes recrues… Emerveillés, plein d’entrain, d’Idéaux, de haine aussi peut-être… Et c’est peut-être pour ça qu’ils se sentent en vie parmi une population qui a appris à taire son cœur, à baisser la tête et à obéir.
L’implication discrète de milliers de petites gens. Des petits gestes de rien, une fois, ou deux, qui les mettent en danger, et qui font aussi d’eux des héros du quotidien... Mais ça, ils ne le revendiqueront jamais.
La peur de devenir bestiaux de tous ceux qui sont passés assassins…
Des silences, des secrets. Tous s’entourent d’une aura de mystère pour se protéger, pour protéger leurs proches, sans jamais envisager que ces mêmes visages côtoyés depuis tant d’années soient engagés dans la même lutte…
Peu de livres ont provoqué en moi ce que Kessel a su éveiller. Je connaissais le film avec Lino Ventura, chef-d’œuvre d’interprétation, et déjà bouleversant. Mais chez Kessel, l’anecdote du quotidien fait que tout sonne désespérément juste, et la tourmente de ces êtres se dessine au fil des pages. On a beaucoup écrit sur la Résistance, mais seul l’académicien s’est posé en amoureux des hommes et de leur force, de la Liberté et de ce qu’elle leur fait faire, sans tomber dans un héroïsme suranné, et peu représentatif.
« Tout ce qu’on va lire ici a été vécu par des gens de France » (Préface)
Victoria Orsini-Martin
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